Le 10 août 1978, c’est un groupe Chrysler Corporation au fond du trou qui est obligé de revendre un peu dans l’urgence ses activités européennes au groupe PSA (Peugeot-Citroën). Un an plus tard, il faut songer à remplacer le nom et le logo Chrysler. Il faut trouver un nouveau nom commercial. C’est une solution improbable qui sera retenue ! Et que PSA tente de justifier dans cette campagne de publicité.
Le contexte : PSA, géant malgré lui
Vous l’avez compris, c’est ce pedigree franco-anglais de Talbot qui a poussé PSA à choisir ce patronyme pour renommer toutes les activités de l’ex-Chrysler Europe. Pour deux raisons : la marque lui appartient désormais même si elle n’est plus active, et elle est connue et réputée des deux côtés de la Manche pour ses modèles d’exception. Dès l’été 1979, Tous les panonceaux Chrysler ou Simca-Chrysler sont retirés pour laisser place à ceux de Talbot.
En rachetant Chrysler Europe, PSA Peugeot-Citroën devient le premier constructeur européen, et le cinquième constructeur mondial derrière General Motors, Ford, Toyota et Nissan ! En route vers une nouvelle aventure… ou plutôt vers l’enfer !
La suite : un rachat traumatisant et raté pour PSA
A peine Chrysler Europe rachetée en 1978, PSA fait un état des lieux calamiteux de l’outil de production : les usines françaises n’ont pas bénéficié ces dernières années des investissements nécessaires à leur bon fonctionnement. Pire : les usines anglaises sont dans un tel état de délabrement qu’elles sont considérées comme industriellement sinistrées ! Seule bonne nouvelle : les usines espagnoles, récentes et modernes, sont opérationnelles. Socialement, c’est une catastrophe : personnel démotivé, absentéisme record, grèves à répétition.
Pourtant PSA est bien obligé de mettre en place une obligatoire restructuration de Talbot. Des décisions difficiles sont prises : licenciements massifs, fermetures d’usine, fusion du réseau Talbot avec celui de Peugeot. Les syndicats ne lâcheront pas le morceau et vont entreprendre de paralyser régulièrement les chaines de production dans les années qui suivront.
A partir de là, le grand public va se détourner de la marque Talbot, plus réceptif aux mouvements sociaux très médiatisés qu’aux efforts fait par PSA pour rendre la marque sympathique (championne du monde des rallyes en 1981, accueil réussi pour la berline compacte Horizon et le véhicule de loisirs Matra Rancho, sortie de la petite Samba bien plus réussie que la Peugeot 104 dont elle dérive, présentation de l’original coupé Murena avec Matra, présentation de la berline Solara et de la grande Tagora). Les parts de marché s’effondrent pour Talbot. Et quand, en 1985, vient le moment de remplacer la Talbot Horizon par la Talbot Arizona, PSA décide au dernier moment d’abdiquer. L’image de marque est devenue désastreuse, la faute à ce qu’on appellerait aujourd’hui un bad buzz. Le souvenir de la dynamique marque Simca est effacé, et la marque Talbot, humiliée, est abandonnée. Il n’y aura donc pas de Talbot Arizona, mais une Peugeot 309 qui intégrera maladroitement la gamme du lion.
Les dernières Samba, Horizon et Solara sont produites jusqu’en 1987. Talbot est de nouveau mise en sommeil cette année-là en Europe continentale. En Grande-Bretagne, la marque survit jusqu’en 1995 avec l’utilitaire Express, un navrant rebadging des Citroën C25, Peugeot J5 et Fiat Ducato. L’histoire retiendra donc, que Talbot, qui faisait naguère partie des plus prestigieux constructeurs du monde, aura eu comme dernier modèle une rustique camionnette fabriquée en Italie dans une usine Fiat !
PSA mettra des années à se relever de cette catastrophe stratégique et industrielle, aussi pitoyable que celle de British Leyland. Traumatisé, le groupe français écartera pendant longtemps toute éventualité de fusion ou de rachat. Jusqu’à cette année, ou il a mis la main sur Opel et Vauxhall.
La suite : la succession du meilleur et du pire pour Chrysler
Aux Etats-Unis, Chrysler Corporation, délesté de ses filiales européennes (achetées par PSA), australiennes (achetées par Mitsubishi) et brésiliennes (achetées par Volkswagen), se retrouve tout de même en situation de pré-faillite, malgré l’argent frais rentré dans les caisses. Le groupe américain est mis le 7 septembre 1979 sous la protection de l’administration américaine pour pouvoir se restructurer et repartir du bon pied. Pour cela, le charismatique Lee Iaccoca, venu de chez Ford, est appelé à la rescousse. Grand stratège, Iaccoca doit inévitablement licencier une partie de son effectif américain et fermer des usines.
Mais il se lance dans un ambitieux plan produit et dans la modernisation à marche forcée de l’outil de production. Le groupe Chrysler (Chrysler, Dodge, Plymouth) revient vite à l’équilibre, et se permet même, en 1987, de racheter American Motors Corporation (AMC) à Renault. Chrysler met donc la main sur la marque Jeep.
Puis, dès 1988, Chrysler revient en Europe pour une nouvelle tentative. Mais si le monospace Voyager obtiendra un certain succès, il en sera autrement pour tous les autres modèles qui seront proposés, trop connotés USA. Dans les années 2000, le PT Cruiser et la 300C réussiront à s’imposer, malgré un style tout à fait décalé. Excité, le groupe Chrysler tente d’imposer la marque Dodge en Europe en 2005. Mais l’aventure s’arrête net en 2009, quand Chrysler LLC se retrouve une fois de plus à genoux, ruiné par la crise des sub-primes et par sa fusion ratée avec l’allemand Daimler. De nouveau placé sous la protection de l’administration américaine, le groupe est racheté par Fiat pour devenir le groupe FCA actuel. En 2011, les marques Chrysler et Dodge sont retirées du marché européen et se retranchent, encore une fois, sur leur marché national. Un éternel recommencement.
Les ingrédients d’un échec inévitable
– Le second choc pétrolier de 1978 a été encore plus dévastateur que le premier, entraînant tous les marchés mondiaux dans une crise économique de grande ampleur.
– La montée en puissance des marques japonaises, devenait préoccupante. Ces dernières, créatives et organisées strictement, étaient les seules, crise oblige, à pouvoir investir dans le rachat de marques en difficultés. PSA, malgré ses propres difficultés, a racheté Chrysler Europe car il était le seul constructeur européen à pouvoir encore le faire à ce moment, face aux japonais.
– Le choix de la marque Talbot pour renommer Chrysler Europe était, avec le recul, stupide. On ne s’en rend peut-être pas compte aujourd’hui, mais Talbot avait, en 1979 la même aura que Ferrari, grâce à ses voitures de légendes. Pour prendre une exemple, peut-on imaginer, de nos jours, que la marque Fiat soit abandonnée et que les Panda, 500, Punto et Tipo deviennent des Ferrari ? Grotesque ? C’est pourtant ce qu’il s’est passé avec les Chrysler-Simca devenues Talbot.
– Le dialogue social était impossible. Les ouvriers et syndicats de Chrysler Europe étaient déjà remontés par l’absence d’investissements de l’américain, par la saturation des usines et par des conditions de travail pour le moins anxiogènes. Les restructurations proposées par PSA après le rachat représentaient donc une goutte d’eau insupportable qui a fait déborder le vase. Le personnel, déjà abandonné par Chrysler Europe depuis 10 ans, n’était pas disposé à supporter la moindre casse sociale supplémentaire. PSA, de son côté, n’avait d’autre choix que d’imposer une restructuration que Chrysler n’a jamais su mettre en place. Il y avait trop de tensions entre la direction et son personnel, et les mois de gréve ruineront Talbot.